L’atelier de Dominique Sosolic à Dole ou Le burin philosophe
Par Maxime Préaud, conservateur général honoraire au département des estampes à la bibliothèque nationale.
Nous sommes le lundi 14 mars 2016, dans le quartier ancien joliment préservé de la ville de Dole, ancienne capitale de la Franche-Comté, dans le département actuel du Jura.
Si une plaque commémorative orne la façade de la Maison natale de Louis Pasteur, au n° 43 de la rue du même nom, il n’y en a pas encore sur celle du n° 59, où habitent les Sosolic. Mais on y voit déjà une enseigne, qui figure un taille-doucier mettant le pied sur la croisée de sa presse, à la mode d’Abraham Bosse, accompagné de la devise modeste : Quod possum. Dominique Sosolic l’a fabriquée lui-même, pour bien montrer sans doute que l’illustre voisinage ne l’a pas vacciné contre la rage de graver.
On entre dans la maison par un étroit couloir. Une petite porte à gauche s’ouvre sur l’atelier qui, fort spacieux, donne vers le sud sur une terrasse dominant le canal des Tanneurs. La plupart des maisons de cette rue, qui s’appelait autrefois fort logiquement la rue des Tanneurs, étaient occupées par des artisans de ce métier qui nécessitait beaucoup d’eau à polluer. Le père de Louis Pasteur exerçait cette profession.
La manière dont l’atelier a été aménagé fait que le plafond aux poutres apparentes est assez élevé, qu’à mi-hauteur des poutres plus grosses s’entrecroisent, et que d’une poutre à l’autre sont tendus des filins qui permettent de suspendre des objets divers, des affiches, des estampes, du papier. Même s’il est plutôt chargé, c’est un endroit où l’on respire et où l’on peut se déplacer à l’aise sans risquer de faire tomber quelque chose.
Tout de suite à gauche s’étend un large plan de travail, au-dessus d’un meuble magnifique en fonte, formé de deux fois six tiroirs, fabriqué par la société Alpia de Besançon, malheureusement défunte. L’artiste y range ses œuvres et quelques outils. Sur le dessus, deux grandes et épaisses plaques de verre encombrées de papiers d’un projet en cours. Une rangée de livres occupe un des côtés : j’y vois plusieurs ouvrages de Bachelard, plusieurs intéressant Dürer, comme Le chevalier et la mort de Sciascia (1989), Triptyque pour Albrecht Dürer de Françoise Bonardel (2012) ; un ouvrage de Philippe Thiéfaine, un libraire voisin : Anima mundi ou Agrippa à Dole, juin 1509-mars 1509 (Dole, 2009), ce serait à Dole où il enseigna que Henri Corneille Agrippa de Nettesheim aurait écrit son De occulta philosophia, que certains auteurs pensent être l’ouvrage fondateur de MELENCOLIA I[1] ; Saturne et la mélancolie de Panofsky, Saxl et Klibansky dans sa version française de 1989 chez Gallimard ; et d’autres ouvrages sur l’art, notamment de Jean Clair et de Daniel Arasse.
Au-dessus, une mezzanine supporte papiers, cartons plats et en tubes. Sur la cloison sont accrochées, très soigneusement présentées, étiquetées d’un cartel avec prix encadré / non encadré, des œuvres de l’artiste, principalement des estampes en couleurs exécutées avec des techniques mélangées, burin, manière noire et aquatinte. D’ailleurs, sur tous les murs de l’atelier il y a de ses œuvres encadrées. Il faut comprendre que c’est aussi un lieu qui sert à Dominique Sosolic pour des démonstrations et où il reçoit nombre de visiteurs, comme le permet son agencement.
À gauche encore, côté nord, deux fenêtres donnent sur la rue Pasteur. Devant la première, au-dessus de laquelle court un rayonnage de bibliothèque (des livres concernant l’estampe et des rouleaux de papier collant), Sosolic a installé sa table de travail. C’est un beau meuble, on voit qu’il a beaucoup vécu, l’ancien établi d’un bijoutier de Strasbourg, que Dominique Sosolic a pu acquérir lorsque l’artisan dut vendre son fonds. Il n’a fait qu’y ajouter un cadre de bois avec une charnière sur lequel il a tendu un calque pour la diffusion de la lumière venant d’un néon placé derrière, ainsi qu’une large loupe articulée nécessaire au caractère extrêmement minutieux de son art.
Une plaque de cuivre, travail en cours, est posée dessus, sur laquelle il me semble reconnaître le sablier de MELENCOLIA I devant une partition de musique dont j’apprendrai qu’il s’agit d’un Nocturne de Chopin (op. 9, n° 2). À côté, une règle plate, une petite burette d’huile en laiton très à mon goût, un bidon de Miror, une gamelle en laiton contenant des pointes et des roulettes de diverses grandeurs, un berceau pour la manière noire dans son étui bricolé maison, des lames de cuivre pour les essais de burin, des burins droits, des burins courbes, un bidon d’huile claire, tout un joli tas de copeaux de cuivre frisottés, des grattoirs et des brunissoirs, une pierre d’Arkansas, un chiffon, un rouleau de Scotch. Dans les tiroirs de la table que j’ai indiscrètement ouverts, j’ai vu des burins encore, une onglette, une vieille montre à gousset qui ne fonctionne plus, des bouchons de liège pour y planter burins et pointes (imprimés SOSOLIC, ce que je trouve plutôt chic), divers outils.
Par terre, à gauche de la table, des cartons de toutes sortes. À droite, des rayonnages portent surtout des livres, des revues. Le nom de Jean-Pierre Luminet revient plusieurs fois. Il est vrai que, comme ledit Luminet le déclare sur son blogue, il est « très investi dans les relations entre science et art, [a] maintes fois collaboré avec divers artistes pour la conception d’œuvres inspirées par les découvertes scientifiques, et [a lui]-même présenté [s]es œuvres graphiques dans plusieurs expositions internationales ». Il fait de la lithographie. Cela explique en partie pourquoi, à la suite d’une de ses conférences à Dole, il est venu dans l’atelier de notre artiste et que, sur des photos que Sosolic me montrera plus tard, on voit Luminet à quatre pattes en train d’examiner de près une de ses estampes. On rencontre aussi fréquemment le nom de Daniel Arasse, au milieu de divers livres sur l’art, la technique, le nombre d’or, la perspective, en compagnie de flacons de vernis, des deux parties d’un nautile scié en deux, d’un nautile entier, de feutres de couleur, d’une plaque de cuivre travaillée, de volumes de l’Encyclopedia universalis, de cire à cacheter, de vernis pour la gouache et pour l’huile, de bombes de fixatif, et de deux petites pierres lithographiques anciennes sur l’une desquelles je distingue le dessin d’étiquettes commerciales, d’une boîte en carton sur laquelle est écrit au feutre noir : D. Arasse. Dominique Sosolic me dit qu’elle contient les enregistrements et les notes qu’il a rassemblés des cours qu’il a voulu suivre à l’EHESS pendant l’année 1996, sous l’influence du livre fameux sur le détail (1992).
Sur le pilier de bois auquel s’accrochent ces rayonnages, sont suspendus un petit miroir, des équerres, un cadre de bois doré à l’intérieur duquel je reconnais un Porte-étendard de Lucas de Leyde (original, me dit son propriétaire), une belle paire de ciseaux, un komboloi, un thermomètre (qui indique 14°), des plumes d’oiseau fichées dans les fentes du bois, un oiseau mort que je n’ai pas reconnu mais que Sosolic me dit être un pigeon momifié qu’il a trouvé dans un grenier. Sur un autre côté du même pilier, je vois un papier polémique à propos de l’exposition d’une artiste contemporaine (dont j’ignore tout) au musée des beaux-arts de Dole en 2015 ; j’y relève seulement cette note de Karl Kraus (reprise par Jean Clair en 2011 dans L’hiver de la culture), qu’on ne peut qu’approuver : « Quand le soleil de la culture est bas sur l’horizon, même les nains projettent de grandes ombres »[2]. Au-dessous est scotchée l’affichette d’une exposition de Sosolic à la galerie Caractères de Charleville-Mézières en décembre 2013.
Au-dessus de la table de travail, entre les deux piliers des filins supportent divers polyèdres en carton, un bristol où sont épinglées deux libellules, une tranche d’un guêpier (il y a d’autres fragments de nids de guêpes par-ci par-là).
De l’autre côté de la bibliothèque, face à la seconde fenêtre, s’étend un plan de travail pour le papier, avec des buvards, un poids de dix kilos et d’énormes pavés de granite pouvant jouer le même rôle. Sous la fenêtre, un autre rayonnage porte des livres sur l’art ; je vois aussi un carton sur lequel est dessinée une spirale. Par terre, des cartons pour transporter des cadres, des cadres, dont beaucoup s’appuient contre un beau meuble à tiroirs, en bois celui-ci, et plus haut que l’autre ; il vient d’un copain à qui son beau-père l’avait légué. Sosolic y range ses œuvres ainsi que celles d’autres artistes ; dans les tiroirs du haut se retrouve tout ce qui lui sert pour les conférences et les enseignements qu’il prodigue sur l’estampe, sa technique et son histoire.
Puis vient l’espace pour l’impression, avec table de chauffe, tarlatane en tapon, blanc d’Espagne, étagères avec boîtes d’encre, pinceaux, flacons d’huile, bouteilles de vernis et autres produits toxiques adéquats. Pas de boîte à grains, mais une chaîne stéréo avec des piles de disques compacts (jazz, Belafonte, Fred Astaire, Miles Davis…), un métronome (il jouait autrefois du saxophone), une machine à café, au mur une horloge ronde et rouge, au-dessus d’un petit moulage en papier blanc de Rodolfo Krasno. À côté un évier blanc, normal, avec éponges, bidon de Paic citron super-dégraissant.
La presse est à peu près au centre de l’atelier, non loin de la table de chauffe. Sosolic l’a achetée en 1980, en Allemagne, à un petit fabricant dont le nom ne lui revient pas. Elle est en métal rouge et noir, fait 60 cm de passage. Jusqu’en 2003, il donnait à faire tous ses tirages chez Leblanc[3] (c’est-à-dire chez Pierre Lallier, ancien Leblanc, ancien Salmon-Porcabeuf) mais depuis que cet illustre atelier a fermé[4], Sosolic imprime lui-même. Sous la presse, papiers, buvards et cartons.
Après l’évier vient un bureau de bois, genre administratif, recouvert d’un bristol griffonné de téléphonographies, de gribouillis d’essais de stylos à bille, des moques publicitaires remplies comme partout de stylos et de crayons, un pèse-lettres, une lampe articulée, une machine à calculer, un double décimètre, un porte-courrier, un agenda 2016, le Maxidico, des ciseaux, des marteaux, des rouleaux ; le long du mur un grand radiateur sur lequel s’entassent divers papiers. Au-dessus, encadrée, une vue de la vieille ville depuis le quai de Lahr, avec la collégiale, gravée au burin par l’artiste en 2005, avec un ciel aux nuages bouclés dans le genre de Bresdin.
Du côté du canal, vers le sud, une fenêtre donne sur la terrasse dallée de caillebotis, avec vue sur le jardin d’en face, au-delà de l’eau. Devant cette fenêtre est placé un autre bureau, plus moderne de style, sur lequel gît un ordinateur portatif fermé ─ du moins pour l’instant ─, des blocs et des feuilles de papiers divers. Dans les tiroirs, des archives personnelles, et à droite des étagères supportant des dossiers, du papier, des tubes de peinture, gouache et acrylique.
L’ordinateur connecté, Sosolic y glisse un disque montrant un reportage réalisé par / pour TF1 sur sa manière de travailler ─ ainsi a-t-il eu les honneurs du journal de Pernaut ( !) ─ assez bien fait pour qu’il puisse s’en servir lorsqu’il a des visiteurs ignorant le métier.
Je vois un autre pèse-lettres ─ l’artiste me montre qu’un pèse-lettres couché évoque un cycliste sur son vélo, il s’en est servi dans une gravure ─, un bocal sur lequel une étiquette manuelle porte : « Cheveux minimum 5 cm de long », qu’il conservait dans la perspective d’expériences graphiques au vernis mou et à l’aquatinte (sans succès jusqu’à présent), une pile d’exemplaires du n° 2 de Jura Mag (février 2016) dans lequel une page lui est consacrée.
De nombreuses feuilles sont suspendues à des filins traversant l’atelier, principalement des affiches annonçant des expositions, même s’il y a aussi une estampe de Trémois, un Couple daté du 6 X 74. Trois affiches pour des expositions aux galeries Fontaine, à Paris, regroupant un certains nombre de ces artistes qu’on dit « visionnaires »[5] : celle de 1973 reproduit une estampe de Desmazières, celle de 1974 une de Doaré, et celle de 1975 une de Sosolic. Une affiche pour une exposition à la galerie Aktuaryus à Strasbourg en 1982 ; une pour une exposition à l’Estampe d’Aquitaine en 2006, avec conférence annoncée car Dominique Sosolic en fait beaucoup, ce qui tombe bien car il aime s’exprimer aussi par la parole ; une pour La Regalerie à Fontainebleau, sans date ; une exposition personnelle au Musée jurassien des beaux-arts de Moutier (dans le Jura bernois) en 1981 ; une à la galerie Alphonse Marre à Chartres, en compagnie d’Alain Jeanne et d’Étienne Lodého ; une à la galerie de L’Atelier à Montbéliard en 1980 ; une pour une exposition Escher à l’Institut néerlandais à Paris en 1973.
Sur un autre câble, une affiche pour une exposition intitulée « Fragments de parcours » en 1978 à la galerie La Cimaise à Besançon ; une exposition à la galerie L’Arlequin à Dole en 1996, avec ses copains Robert-Aymé, Erwin Heyn et Jean-Marcel Bertrand ─ il possède de ce dernier une épreuve d’un bois debout fort bien exécuté à l’onglette en 1979, La Grand-messe à Collonges-la-Rouge (Corrèze), ainsi que le bois lui-même, qui lui servent régulièrement pour ses démonstrations.
Une affiche pour une exposition à la médiathèque de Dole en 2001, « Sur les chemins du livre ; gravures d’illustration 1980-1988 » ; une planche de démonstration pour la gravure en trichromie, burin et aquatinte et manière noire ; une affiche de l’exposition « Claude Mellan / L’œil d’or » à la Bibliothèque nationale en 1988, ce qui achève de prouver que Sosolic est un homme de goût ; une pour la Biennale internationale de l’estampe en Lorraine en 2012, où il avait exposé en compagnie d’Alain Ménégon au musée du Pays de Sarrebourg ─ occasion de dire un mot dudit Ménégon, excellent lithographe, qui dirige une association justement appelée « La Lithographie » dans une salle du château de Marnay, dans le département voisin de la Haute-Saône ; il y a installé une énorme et superbe bête à corne venue de chez Bollito à Turin, avec laquelle il fait régulièrement des démonstrations et dispense des cours ; il fait aussi très bien la cuisine, et pas nécessairement du bollito.
Du temps qu’il habitait à Strasbourg, Sosolic collaborait à une association intitulée « Estampe du Rhin » (aujourd’hui défunte) qu’il me dit avoir été en 1977 en France le premier atelier communautaire de graveurs ; il y était responsable des stages. C’était bien avant qu’il quitte la grande ville alsacienne pour Dole, aux dimensions plus raisonnables à son goût, et pour revenir dans son pays natal. En effet, l’origine de son monde est la jolie ville d’Ornans, qui se trouve être comme chacun sait la patrie de Courbet, responsable de ses premiers émois artistiques. C’est là que son père, originaire de Slovénie, avait monté avec son frère un atelier de mécanique de précision, qui avait si bonne réputation que les successeurs (son père est mort en 2004) ont tenu à conserver le panneau marqué du nom de Sosolic.
Une autre affiche indique que l’intégralité de l’œuvre gravé de Sosolic a été présentée au musée Denon de Chalon-sur-Saône en 1988 ; une autre rappelle une exposition avec Erwin Heyn à la galerie L’Empreinte de Strasbourg en 1978 ; une autre une exposition à l’Espace Saint-Cyprien de Toulouse en 1989.
Le milieu de l’atelier est occupé par un vaste plan de travail formé de deux grandes et épaisses planches en laqué blanc, l’une posée sur des tréteaux, l’autre sur une commode à l’intérieur de laquelle des étagères supportent ce que je suppose être des dossiers d’archives. Sur le dessus s’accumulent des dessins préparatoires à des gravures en cours, notamment celle avec le nocturne de Chopin déjà mentionnée, ainsi que gomme, règles, bâtons de colle, crayons, feutres, équerre, rouleau de Scotch, flacon d’encre de Chine, une boîte de « fusains de couleur » Carb-Othello « avec taille-crayon spécial », compas, cutters.
Sur une autre poutre voisinent une photocopie de MELENCOLIA I et des estampes de Sosolic encadrées, parmi lesquelles des représentations de poules qui lui rappellent la ferme de sa grand-mère maternelle, à Lévigny, dans l’Aube, près de Bar-sur-Aube, ville natale de Gaston Bachelard, comme il se plaît à le rappeler ─ il croit beaucoup à ce qu’il nomme la « synchronicité », soit une répétition apparente de coïncidences[6] ─ ; il va de temps en temps sur sa tombe. Il cite volontiers le mot du philosophe selon lequel « le graveur est un laboureur ». Il a réalisé une estampe représentant sa grand-mère en train d’égrener du maïs, avec poules, coq et poulets à ses pieds, qu’il lui avait offerte et qui est restée dans sa cuisine jusqu’à son décès ; elle est là maintenant sur le mur de l’atelier. C’est à cette époque, me dit-il, qu’il a quitté le monde de l’imaginaire et du fantastique pour passer à des sujets de la vie quotidienne, de la nature, des animaux.
Il y a d’ailleurs, punaisées sur une poutre, des photographies de sa grand-mère au lavoir, de son père, de ses deux fils Ilhan et Niels en différentes occasions. Sur une autre, ce sont des cartes de vœux, de celles qu’il envoie régulièrement, gravées en taille-douce, à ses relations, et de celles qu’il reçoit de divers graveurs, comme Piza, Erwin Heyn, Jean-Marcel Bertrand et d’autres.
Mais c’est surtout l’année sabbatique (capésien et agrégé d’arts plastiques, son dernier poste, jusqu’à sa retraite récente, a été au collège Claude-Nicolas Ledoux, à Dole) pendant laquelle il a pu suivre les cours du regretté Daniel Arasse qui l’a poussé dans une direction nouvelle. À partir de ce moment, tout ce qu’il a gravé demandait une justification, et il s’applique à donner une explication du contenu de chacune de ses estampes. Il a été encouragé dans cette voie difficile par les écrits de Luminet et d’Etienne Klein, entre autres. Et il s’intéresse maintenant à la mécanique quantique, et de plus en plus à l’infiniment petit. Il veut être de son époque, et en même temps il souhaite faire, comme à la Renaissance, comme Dürer dans sa MELENCOLIA I, des images chargées d’autre chose que ce que l’on y voit naïvement. Cela rend sa gravure très complexe et difficile d’accès, surtout pour certains que je connais bien qui n’éprouvent qu’un intérêt distant pour la philosophie, et cela lui demande plus d’efforts d’imagination et de connaissances que lorsque, à ses débuts, il se livrait à l’art fantastique.
Il me donne comme exemple une pièce très spectaculaire (50 cm de diamètre[7]), présente encadrée sur un des murs de l’atelier, qu’il a intitulée Anima mundi (comme le livre de son ami Thiéfaine cité plus haut), terminée en 2010, le 12 février précisément. On y voit l’homme de Vitruve revu par Léonard à l’intérieur d’un polyèdre et entouré des douze signes du Zodiaque, ce qui m’a rappelé ma jeunesse, lorsque j’étudiais l’astrologie médiévale. Entièrement exécutée au burin, c’est une gravure très importante pour lui (elle lui a coûté plus d’une année de travail rien que sur le cuivre), au point qu’il m’a donné une copie du commentaire qu’il en a rédigé, d’une vingtaine de pages. Si Dürer avait fait de même, on n’aurait pas pu écrire une bibliothèque entière sur son œuvre. Doit-on le regretter ? Faut-il nécessairement que tous les mystères soient résolus ? Croit-on qu’il n’y a de mystère que dans les choses compliquées ? Ma philosophie à moi ne va même pas jusqu’à essayer de répondre à ces questions. Mais celle de Dominique Sosolic peut-être.
[1] C’est en tout cas l’opinion de Philippe Thiéfaine, et de Dominique Sosolic qui me la rapporte, je n’ai pas lu le livre.
[2] Je me sens tout petit.
[3] Il a calculé qu’environ quinze mille de ses estampes ont été tirées chez Leblanc.
[4] Didier Mutel, ancien de l’atelier, le ressuscite à Orchamps (42 rue de la Libération, 39700 Orchamps), non loin de Dole, cf. Michel Melot, « Les tours de force de Didier Mutel », Nouvelles de l’estampe, n° 247 (Été 2014), p. 60-63.
[5] Voir mon introduction, « Vierzehn ‘visionäre’ Grafiker aus Frankreich / Quatorze graveurs français visionnaires » dans Les Visionnaires / Visionäre Grafikkunst er Gegenwart aus Frankreich. Mit einer Einführung von / Avec une introduction de Maxime Préaud. Herausgegeben von / Edité par Gerd Lindner, Bad Frankenhausen, Panorama Museum, 2012, in-8°, 308 p., voir p. 16-36. Mais Sosolic ne fait pas partie de ce groupe, à tort sans doute.
[6] J’y ajouterai celle-ci, qui ne peut que plaire à notre artiste : le meuble à tiroirs en bois qu’utilise une autre buriniste, Carole Texier, dont j’ai décrit l’atelier dans le n° 254 des Nouvelles de l’estampe, vient de la mairie d’Ornans.
[7] Elle est reproduite, en même temps que quelques autres, dans un article rédigé par Jean-Claude Soum, « Portrait du graveur dolois Dominique Sosolic », Le Jura français, n° 300 (oct. déc. 2013), p. 8-15.